Dans le monde doucereux qui cause de bienveillance et susurre des mots qui mettent le personnel au cœur du développement, qui t’intime, qui t’intimide, qui t’impressionne et te pressionne presque à te coller des boutons, de l’urticaire de l’eczéma de ne pas, las, pouvoir tout faire avec pourtant tous ces supers pouvoirs qu’on te suggère, inutiles entre tes mains qu’il te suffirait de déplier comme un éventail à coup de pitchenettes de recettes, de chiquenaudes de maraudes autour de ton esprit déboussolé sans destin fixe, sans rêve dessiné, sans plan de vol et sans stratégie de carrière, dans ce monde de miel, donc,
t’as l’impression qu’on te tuetoi. Quand on te met tout au milieu, quand on fait de toi le centre, le cœur de cible, le poumon des possibles, qu’on te dit de prendre ta vessie, juste sous ton nombril, pour unique lanterne, tu cherches en vain un petit quelque chose sous toutes tes pelures d’oignon, et cette odeur te colle aux doigts, tu t’accuses et te dis « mais c’est toi que je tue ».
Et pourtant tu n’es jamais qu’une membrane, tu vibres, tu vibres, mais ça ne fait jamais qu’un son, un son de cloche, chacun chacune étant son propre clocher, peu prompt à la bataille, mais faible à l’incendie.
Je ne veux plus de cette familiarité des magazines qui m’assomment et me somment de prendre soin de moi, moi d’abord, moi d’abord, comme chantaient les Wriggles, et dans le moi moi moi tous les jours de l’année,
le toi devient le trait devient l’altérité, le tu dit la distance, le tu es à côté mais m’entends-tu seulement, on ne parle plus guère que par des monologues parfois enregistrés, comme ces messages vocaux que se laissent les jeunes au lieu de s’appeler, au lieu de se dire tu et de se tutoyer, de tutoyer les astres et leurs aspérités en faisant rayonner les lois de l’amitié, ils copient leurs ainés,
ils sont, comme beaucoup d’adultes déjà mûrs, la « génération tête en bas » comme me le disait une presque voisine venue chercher des plants d’arbustes du jardin, la génération des paupières tombantes sur leurs yeux délavés qui regardent leurs mains, qui regardent l’engin qui ne les tutoie guère mais leur parle sans cesse, s’agite et notifie, et qui les fait vibrer un peu par ricochet en faisant trop de sons, même muets, même sur silencieux, pour entendre le sien.
Sur le net il n’y a ni de tu ni de vous, y a du tease et des vues. Et du je à tous les étages, du je partout et tout le temps, à coup de cases à cocher, de J’accepte en Je me résigne, de Je veux en Je recommande, de Je partage en J’évalue.
Moi j’entends bien qu’on se fourvoie, je voudrais bien qu’on se vouvoie. Qu’on se voit déjà tous, entiers, comme une humanité intègre, comme un faisceau de collectifs, comme des gens tout reliés par des millénaires de traces, par des conjonctions de parcours, similarités de besoins.
Petit bonhomme, quand on dit Non, finit Nombril, quand on dit Oui, fait Ouistiti. Il a tout compris, ce primate, c’est bien en disant non au autres qu’on se perd dans le trou du ventre, et c’est joyeux de se trouver un peu copains comme cochons. Je voudrais bien qu’on voit les vous, tous ces vous-là qui sont partout et dont on a tous grand besoin, de vous à moi, de moi à vous, ça fait des nous qui se renouent, qui s’enchevêtrent comme lianes à oublier qu’on peut tomber quand on monte là tout en haut sans personne qui tient l’échelle, qu’il y a un gros coup de vent, sans quelqu’un qui fait contrepoids quand on s’assit au bord du banc, on trouve ça vraiment joli les immenses bancs de poissons, les vols sublimes des canards sauvages, les foules de pingouins qui font comme une danse et gagnent plusieurs dizaines de degrés au centre de leur bal par rapport à la température extérieure pour assurer tour à tour la survie de chacun chacune. On les trouve admirables, ces ruches vibrionnantes où chacune a sa place et tient sa destinée juste au bout de ses ailes, et ce faisant participe à la ronde marche des tripotés d’espèces, et de faune et de flore, qui gravitent alentour.
Il parait que de notre côté, pour reprendre une autre expression bienvenue de la presque voisine, on devient des « mougeons ». Comme une espèce hybride entre moutons et pigeons, qui avance tête baissée, tête biaisée, ne saisissant que trop, dans la piscine de l’info, la gaffam qui lui est tendue, ou plutôt qui lui met la tête bien sous l’eau, afin de ne plus voir grand chose à la surface.
La preuve, malgré les données sur les risques de submersions sur le site d’un ministère, les prix de l’immobilier flambent dans les stations balnéaires, comme titrait le Monde.
La bonne nouvelle ? Vive quand s’articulent le je et le nous, ça évite de laisser le tu sur les rotules !