Vous en avez marre de madame jamais contente, mamie toujours insatisfaite, et tata toujours à se plier en quatre alors qu’on lui a pourtant rien demandé ? Vous cherchez encore les origines mentales et inconscientes du manque d’ambition ou d’entrepreneuriat féminin et des différents plafonds de verre ?
Jetez donc un œil au Livre de Piété de la jeune fille : 847 pages approuvées par trois archevêques, cinq évêques et béni par « Sa sainteté Pie IX ». Non daté, mais de 1922/1925 : d’après la Bibliothèque nationale, il s’agit de la 677ème édition. Trouvé dans un carton perdu au fond d’un vieux buffet, il m’est apparu comme un puissant appel à la contrition bien plus qu’à la décontraction.
Une rapide recherche Internet montre qu’à voir le nombre de celleux qui tentent d’en tirer trois sous, les exemplaires ont dû d’ailleurs coloniser bien des esprits avant d’avoir envahi greniers et débarras.
Dans un chapitre aussi édifiant qu’hallucinant qui décrit comment doit se comporter la jeune fille pieuse par rapport à la jeune fille mondaine, j’ai pu ébahie découvrir ceci : « La jeune fille pieuse marche toujours en la présence de Dieu, dans l’oubli du monde et d’elle-même ; elle est patiente et résignée dans les souffrances, les afflictions, les humiliations. […] La jeune fille pieuse souffre tout des autres et s’étudie à ne leur rien faire souffrir. La jeune fille pieuse donne volontiers et reçoit à regret ; elle ne demande rien et accorde tout, elle va même au-devant des désirs qu’on n’ose lui manifester[…] [Elle] cherche sa consolation en Dieu seul ; elle mortifie tous ses sens. […] La jeune fille pieuse est détachée de la vie et désire mourir pour aller à Dieu. »1
Cette fameuse « jeune fille pieuse » qui traine dans les inconscients collectifs ne peut même pas exaucer cet ultime désir de rejoindre Dieu le plus vite possible : pour la tenir ainsi toute disponible dans son rôle de paillasson par destination, ces messieurs lui ont bien répété que le suicide était péché mortel, d’autant plus gravissime qu’il est le seul pour lequel, c’est ballot, mais on ne peut même plus aller à confesse après avoir fauté. Cette précaution oratoire, au vu des attendus inculqués plus haut, aura probablement sauvé un paquet de vies…
La bonne nouvelle : le 25 mai 2020, Anne Soupa, une théologienne de soixante-treize ans, suite à un « Pourquoi pas ? » de son fils, s’est portée candidate pour le poste d’archevêque de Lyon, en remplacement du cardinal Barbarin. Même si côté mœurs et féminisme, la papauté est encore terriblement conservatrice et que c’est pas gagné demain, les encycliques Laudato si (à la Extinction Rebellion) et Fratelli tutti (à la Cédric Herrou) semblent nettement plus motivantes et rêvolutionnaires que la plupart des discours ambiants… et de ces discours passés !!
Parce que là-dessus, « Long is the road, hard is the way, heavy my load but deep is my faith » comme dirait un ancien scout…
1 Autre extrait formidable : « La jeune fille pieuse, petite à ses propres yeux et ne se croyant capable de rien de grand, reste intérieurement dans l’humilité ; elle se retire et se cache ; elle s’occupe devant Dieu de ses misères et de ses imperfections. »
Fun fact : apparemment, il aurait été offert à une grand-tante, « jeune fille pieuse » qui travaillait comme dame de maison, par la Madame chez qui elle travaillait. Cette dernière bénéficiait-elle (ou pas) des libertés autorisées à ces vilaines « jeunes filles mondaines » dont il est question en miroir ?
Dans tous les cas, je me représente très bien Madame comme la Reine-sorcière à la pomme dans Blanche-Neige, distillant le poison de l’humiliation qui laisse tellement de pépins…